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Femmes et santé : une nécessaire prise en compte du sexe et du genre

“La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain”. Voilà ce que dit la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé.

En France, “l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé”, est par ailleurs garanti par le Code de la santé publique. Les inégalités d’accès à ce droit existent pourtant encore, trouvant leurs causes dans de multiples facteurs, socio-économiques, démographiques, mais aussi liés au sexe et au genre… Les acteurs de terrain l’ont compris : la prise en compte du sexe et du genre est nécessaire en santé, au risque d’ignorer certains enjeux, de créer des difficultés d’accès à la santé voire des inégalités. Nous en faisons le constat au regard des projets que nous étudions et de ceux que nous soutenons : nombreux sont les organismes à but non lucratif qui se sont emparés de sujets spécifiquement liés à la santé des femmes et dont les actions de terrain et de plaidoyer participent à faire émerger ces sujets auprès de l’opinion et des pouvoirs publics.

Dans son rapport “Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique”(1), datant de fin 2020, le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE) vient confirmer la légitimité et la pertinence de ces actions.

Les maladies spécifiques aux femmes et les maladies “jugées” féminines ou masculines

La santé des femmes peut d’abord être vue par le prisme des maladies qui leurs sont spécifiques, relevant notamment de la santé sexuelle et reproductive. Parmi elles, certaines ont parfois été ignorées ou sous-estimées. C’est par exemple le cas de l’endométriose. Le travail de plaidoyer d’associations et la médiatisation rendue possible grâce à la prise de parole des femmes ont permis de faire émerger ce sujet et des actions de terrain sont aujourd’hui menées.

Le Télététon, action de sensibilisation de Jeune & Rose

Comme par exemple à la Fondation Hospices Civils de Lyon qui a créé le projet EndoDOL pour valider de nouvelles pratiques non médicamenteuses, complémentaires de la chirurgie, pour une meilleure prise en charge de l’endométriose et des douleurs chroniques associées, en se basant sur une coopération entre les équipes soignantes et les patientes.

D’autres maladies spécifiquement féminines, mieux connues, nécessitent une connaissance encore plus massive, à l’image du cancer du sein, bien dépisté chez les tranches d’âges les plus âgées (car les plus à risque) mais encore méconnu des plus jeunes. C’est le combat de Jeune et Rose, qui se mobilise pour accompagner les patientes, alerter les professionnels de santé sur les problématiques propres aux moins de 45 ans et sensibiliser les jeunes filles. L’association mène notamment des actions de transmission des gestes techniques de l’autopalpation mammaire et agit pour une meilleure connaissance de cette pathologie, de ses symptômes et caractéristiques, notamment chez la femme enceinte. Pour, in fine, lutter contre les retards de diagnostic.

Dans son rapport de 2020, le HCE pointe également les préjugés associés aux maladies “dites” féminines ou masculines. C’est le cas par exemple des maladies cardiovasculaires qui sont sous diagnostiquées chez les femmes, et dont elles meurent davantage que les hommes lorsqu’elles sont touchées. C’est aussi le cas des troubles du spectre autistique, plus fréquents chez les hommes mais pas inexistants chez les femmes, qui subissent là aussi des retards de diagnostic. Autre préjugé : la différence de prévalence de la dépression (qui peut toucher en moyenne deux fois plus les femmes que les hommes selon les pays), n’est pas due à la constitution biologique des femmes comme on l’a longtemps cru. De nombreuses recherches montrent aujourd’hui que les troubles dépressifs résultent d’une combinaison de facteurs : biologiques, psychologiques, socioculturels, économiques.

Des inégalités liées aux conditions de vie et à l’environnement

La santé des femmes est d’ailleurs influencée par les inégalités liées à des facteurs socio-économiques, aux conditions de vie ou à l’environnement de façon plus générale.
C’est particulièrement le cas des femmes qui vivent dans un contexte socio-économique précaire. Sur le terrain, l’Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF) œuvre ainsi pour les femmes en situation d’exclusion. Elle accompagne les professionnels et bénévoles de l’aide sociale et de la santé et les sensibilise aux problématiques et spécificités des femmes en situation d’exclusion et de précarité (violences, emprise, pathologies de la femme, pratiques socio-culturelles telles que l’excision…), la manière de prendre en charge ce public particulier, ainsi que les actions à mettre en œuvre.

Autre exemple : l’association Ikambere s’adresse aux femmes vulnérables touchées par le VIH/sida. Grâce à un accompagnement pluridisciplinaire, elle leur permet d’accéder aux soins, aux droits, au logement, à l’emploi, à une alimentation saine et à des activités favorisant le lien social et l’estime de soi. Avec pour but de rompre leur isolement et d’améliorer leur qualité de vie.

Comme le rappelle un précédent rapport du HCE, datant de 2017 et intitulé “La santé et l’accès aux soins : Une urgence pour les femmes en situation de précarité”(2), contrairement aux idées reçues, les femmes représentent la majorité des personnes en situation de précarité : elles sont 53 % des personnes pauvres, 70 % des travailleurs pauvres, occupent 82 % des emplois à temps partiel et 62% des emplois non qualifiés, et sont à la tête de 85% des familles monoparentales… Ce rapport précise en outre qu’en raison de leur situation de précarité, ces femmes ont une santé dégradée et un moindre accès aux soins : en 2016, elles représentaient 64 % des personnes ayant reporté ou renoncé à des soins au cours des 12 derniers mois.

Le rapport du HCE de 2020 note par ailleurs que les difficultés matérielles, la pénibilité des conditions de travail et leur articulation avec les activités familiales touchent particulièrement les femmes et se répercutent sur leur santé physique et mentale. Il pointe par exemple la sous-estimation de la pénibilité au travail des métiers majoritairement féminins (infirmières, aides à domicile, caissières, employées de maison…) et les risques sur la santé qui en découlent : troubles musculo-squelettiques, cancers d’origine professionnelle, risques psycho-sociaux… Ou encore, quelle que soit la situation sociale ou économique : la charge mentale des femmes qui ont en majorité la charge des activités domestiques et parentales, y compris lorsqu’elles travaillent.

L’enjeu est bien de démontrer que la prise en compte du genre et du sexe permet d’analyser plus précisément les pathologies, de formuler de nouvelles hypothèses de recherche et de construire des stratégies de prévention et de traitement. Il est aussi de montrer que cette approche constitue une innovation dans la médecine et la recherche pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes.

Rapport du 15 décembre 2020 du Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes

Les violences subies par les filles et les femmes

Autre enjeu majeur lorsque l’on aborde le sujet de la santé des femmes : les violences dont elles sont l’objet en raison de leur genre. Leurs conséquences sont multiples : blessures traumatiques et gynécologiques, troubles psychiques et psychosomatiques, troubles du sommeil et de l’alimentation, anxiété, dépression, syndrome post-traumatique, conduites addictives, idées suicidaires…

Là aussi, de nombreux acteurs de terrain agissent pour faire bouger les choses. C’est par exemple le cas à l’Hôpital Bichat, où un groupe de recherche a conçu une formation, à destination des professionnels de santé, sur le repérage, l’accompagnement et l’orientation des femmes ayant subi des mutilations génitales.

© Mouvement du Nid

L’objectif : lever le poids du tabou pour améliorer la prise en charge et la prévention. En France, on estime que 125 000 femmes adultes seraient concernées par les mutilations génitales féminines, qu’ils s’agisse de filles et femmes migrantes ou nées en France de parents originaires de pays où elles sont pratiquées. En Martinique, la délégation de l’association Mouvement du Nid accompagne les femmes et filles victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Elle a créé un programme d’accompagnement médico-social pour améliorer leur accès à l’information, à la prévention et au parcours de soin.

Et puis il y a bien sûr les violences domestiques, qui touchent tous les pans de la société. D’après l’Observatoire national des violences faites aux femmes(3), en 2019, 213 000 femmes ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Parmi les nombreuses associations qui se sont emparées du sujet et portent la voix des femmes, l‘Institut Women Safe & Children prend en charge les femmes victimes de tous types de violences, ainsi que les enfants et adolescents victimes ou témoins, pour à la fois les accompagner dans leur reconstruction et éviter la répétition des violences. Elle réunit ainsi une organisation pluridisciplinaire, pour une prise en charge holistique, à Saint-Germain-en-Laye et bientôt dans un second site à Evian.

Globalement, le rapport du HCE de 2020 relève que les médecins sont le plus souvent les premiers interlocuteurs des femmes victimes de violences, et pointe le besoin d’une formation accrue des personnels de santé au repérage des violences faites aux femmes, “à la hauteur des besoins”.

L’effet loupe de la crise sanitaire due à la Covid-19

La crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie a eu un effet révélateur voire amplificateur sur certains facteurs de santé spécifiques aux femmes. Qu’il s’agisse de la pénibilité et/ou la précarité de certains métiers majoritairement féminins qui se sont retrouvés en première ligne (infirmières et auxiliaires des santé, mais aussi caissières ou agents d’entretien par exemple), de la charge mentale des femmes qui s’est alourdie pendant le premier confinement et la fermeture des écoles ou de l’explosion des violences conjugales, les sujets sont nombreux.

© Patrick Bar pour ADSF

D’autres sont nés de la crise, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive avec par exemple le port du masque pendant l’accouchement qui vient s’ajouter à la liste des violences obstétricales et gynécologiques que peuvent subir les femmes, ou encore l’interruption des protocoles de procréation médicalement assistée avec la fermeture de centres de PMA…

Un enjeu de santé publique

Les initiatives des acteurs de terrain qui s’emparent de tous ces sujets montrent, par l’exemple, que les besoins sont réels pour répondre aux problématiques liées à la santé des femmes. Le HCE lui-même, dans son rapport de 2020, dit que “l’enjeu est bien de démontrer que la prise en compte du genre et du sexe permet d’analyser plus précisément les pathologies, de formuler de nouvelles hypothèses de recherche et de construire des stratégies de prévention et de traitement. Il est aussi de montrer que cette approche constitue une innovation dans la médecine et la recherche pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes.” Il a ainsi formulé 40 recommandations dans son rapport, suivant quatre grands axes : la sensibilisation des soignants aux interactions entre sexe, genre et pathologies ; le soutien aux recherches pluridisciplinaires sur le sexe et le genre dans la santé ; une meilleure prise en compte des conditions de vie et de l’environnement dans les inégalités de santé ; la formation des professionnels et futurs professionnels de santé et l’accès des femmes aux postes à responsabilités dans la fonction publique hospitalière et le secteur de la recherche.

Les professionnels de santé ont besoin de plus d’informations et de sensibilisation aux problématiques de genre. Repérer les femmes en situation de vulnérabilité, comprendre leur quotidien et leurs difficultés, utiliser les bons mots et les orienter vers les acteurs pouvant fluidifier leur accès au parcours de soin et à la prévention. Les projets que nous soutenons oeuvrent en ce sens, permettant plus lien humain dans la santé.

Philippe Denormandie Délégué Général de la Fondation nehs Dominique Bénéteau

Pourquoi nous soutenons ce projet ?

À la Fondation nehs Dominique Bénéteau, nous pensons par ailleurs que mettre la relation humaine et la médiation au cœur de toute démarche en santé fait partie des clés pour réduire les inégalités quelles qu’elles soient, et notamment celles subies par les femmes. Comme le montrent tous les jours sur le terrain les projets que nous soutenons, et en particulier les projets cités dans cet article : c’est en dialoguant, en coopérant, en accompagnant, en incluant, que l’on peut détecter, comprendre et trouver des solutions aux difficultés et inégalités d’accès aux soins.

Sources :

  1. Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique”, rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE), remis au ministre de la Santé Olivier Véran et à la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, Elisabeth Moreno, le 15 décembre 2020.
  2. La santé et l’accès aux soins : Une urgence pour les femmes en situation de précarité”, Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE),  mai 2017.
  3. Observatoire national des violences faites aux femmes.

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